15 septembre 2012
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Légionnaires : link
La camarade ne pardonne rien, n’oublie personne; plus tôt ou plus tard elle nous saisit sous son manteau sombre et nous accompagne de son haleine fétide jusque dans les profondeurs du Styx ou
nous pousse, nimbés de gloire, vers les hauteurs éthérées.
Certaines morts sont héroïques et inscrivent sur le marbre de la postérité des noms qui deviendront néanmoins, très vite, inconnus des générations qui éclosent. Il faut s’appeler Napoléon,
Clémenceau, de Gaulle, Danjou, Rollet… pour que leur souvenir demeure. Que dire alors des morts plus modestes, plus anonymes de ces héros du quotidien qui nous ont quittés hier, qui disparaitront
demain ?
Les légionnaires, peut-être plus que d’autres, n’échappent pas à cette humaine logique : naître, vivre puis disparaître dans l’oubli, après avoir servi avec dévouement, courage, abnégation,
voire en donnant leur vie, la France qui les a si bien accueillis.
Morts, ils sont rendus à leurs familles, quand c’est possible et voulu, sinon, ils sont ensevelis dans les carrés militaires des villes de garnison.
Mais que deviennent les tombes de ces soldats oubliés ?
Le "Souvenir Français" tente, comme il le peut, de faire entretenir ces tombes quand elles sont connues, identifiées et situées à l’étranger… parfois ce sont quelques volontaires dévoués qui
tentent de faire perpétuer le souvenir de ces camarades disparus. Je me souviens de Rodel et son monument en Indochine, je pense à l’ancien adjudant-chef Galvez qui fait ce qu’il peut à
Madagascar, ou encore de ma garnison d’Ali Sabieh où pour le 30 avril nous allions chauler le petit cimetière au pied du Fort des Italiens, sans savoir exactement quels soldats y séjournent pour
toujours. Mais tout ceci n’est vrai qu’au-delà des mers et dans les cimetières militaires nationaux des deux guerres, ou bien dans les villes où nos régiments tiennent encore garnison…
Et les autres ? Que deviennent ces carrés où reposent nos légionnaires oubliés?
Celui de Bonifacio tombe en ruines, celui de Montferrat près du Camp de Canjuers où certains des nôtres sont tombés au service de la France est délabré… et tant d’autres.
L’un des cas les plus flagrants, alors que souvent nous nous gargarisons du respect des anciens, est celui du colonel de Chabrières.
Marie Louis Henry de Granet-Lacroix de Chabrières était un officier français mort pour la France à Magenta le 4 juin 1859. Natif de Bollène, dans le Vaucluse, il est, à un siècle et demi
d’intervalle, mon voisin. Du château familial il ne reste qu’une ruine à quelques encablures de ma maison. Elle surplombe la petite chapelle de Saint Ferréol qui jouxte le minuscule carré dans
lequel est enseveli le héros de Sébastopol, d’Ischeriden, de Magenta… ainsi que quelques membres de sa famille.
Pendant quelques années le 1er REC se chargeait de l’entretient du liliputien cimetière où repose tant de gloire. Puis, comme les autres, cette tombe fut oubliée. Alerté par l’ancien
sous-officier Gilbert Tissot, j’ai agi, voilà bien des années, auprès des chefs de corps du 1er REC et du 2e REI pour leur demander de réhabiliter la tombe. Un
peu d’entretien fut dispensé à la hâte par une équipe venue passer quelques heures sur les lieux. Grâce à notre regretté camarade Eberle, une nouvelle action d’entretien s’est déroulée quelques
mois avant sa disparition. L’ancien Major Christian Remy est venu sur les lieux et des améliorations ont été constatées. A mon niveau, j'ai fait ce que j'aiu pu.
Et de nouveau de Chabrières est tombé dans les oubliettes, alors même que le 2e REI a rebaptisé le Quartier Vallongues, à Nîmes, du nom de l’illustre chef de corps qui a servi un
temps, lui aussi, à titre étranger.
Quelques amicales, rares, s’occupent très bien de ces carrés : Puyloubier, Marseille, Polynésie Française… et d’autres sans doute que j’ignore. Il est certain aussi que le commandement de la
Légion ne peut s’occuper de tous ces lieux de mémoire. Néanmoins, ne serait-ce pas possible de sensibiliser les chefs de corps afin que ceux-ci fassent procéder à un peu d’entretien lors
des passages de leurs unités à l’occasion de manœuvres, de séjours en camp ?
Les villes de garnison légionnaire sur le territoire métropolitain ne sont pas si nombreuses qui interdiraient un entretien ponctuel, sans périodicité définie, au gré des passages. Cela a un côté
utopique, je le reconnais volontiers, mais de Borelli n’écrivait-il pas en 1885 :
« Nus, affamés, sans feu, ni lieu, sans espérance,
Aux maîtres comme aux lois ayant répondu : Non,
Trainant leur passé lourd comme on traine un chaînon,
Des hommes, Dieu sait d’où, s’en viennent à la France.
Nous sommes las. Mourir est une délivrance ;
Veux-tu faire de nous de la chair à canon ?
Elle répond : c’est bien, je sais votre souffrance,
Et je n’ai pas besoin de savoir votre nom.
Prenez, mangez. Dormez, sans rêve, sous la tente ;
Ce pain dur, ce lit dur, qui font l’âme contente,
Sont ceux de nos soldats : méritez leur tombeau.
Vous êtes en lieu sûr, et de vous je me charge,
Entrez – Et derrière eux, d’un geste simple et large,
Elle fait retomber un pli de son drapeau. »
Faisons nôtres aussi ces vers du même capitaine :
« …Lorsque l’oubli se creuse au long des tombes closes,
Je veillerai du moins et n’oublierai jamais. »
Sans cela, le culte et le respect des anciens, ne seront que vaines paroles qui embellissent les discours de circonstance et qui n’offriront comme réalité tangible, que le
défilé sur la Voie sacrée chaque 30 avril.
Qui sait que dernier survivant de Camerone est enseveli à Lille ?
Je l’ai écrit dans une précédente lettre : un officier américain visitant le musée d’Aubagne et voyant les noms des officiers morts au service de la France sur les murs de la crypte, avait
ingénument demandé où étaient inscrits les noms des légionnaires…
Parfois, même pas sur leur tombe.
Antoine Marquet
