Posté le samedi 10 janvier 2015
Par Jean GUISNEL - Le Point
Que faire pour éviter qu'un tel massacre ne se reproduise ? C'est toute la question de l'antiterrorisme. Mais la réponse restera forcément incomplète...
Soupçonnés d'être les auteurs de douze assassinats perpétrés le 7 janvier à l'intérieur et à l'extérieur des locaux de Charlie Hebdo, les frères Kouachi ont pu préparer leur attentat dans la discrétion, sans se faire repérer par les policiers qui auraient pu et dû les en empêcher. Depuis des mois, sinon des années, tous les spécialistes prévenaient qu'une telle action allait se produire... Pour autant, est-il envisageable avec les moyens que la République consacre actuellement aux renseignements intérieur et extérieur - à la louche, un milliard d'euros par an - de dresser un bouclier infranchissable contre des hommes déterminés, organisés et prudents ? La réponse est négative.
De la même manière, les spécialistes de la protection rapprochée qui assurent la sécurité d'une personne menacée ne peuvent le faire de manière efficace contre un attaquant décidé. Dans la longue histoire de la police française - sous réserve d'inventaire et sauf erreur que nos lecteurs rectifieraient -, seules deux personnalités françaises ont dû leur survie aux tirs de leur "ange gardien" : Nafissa Sid Cara, secrétaire d'État chargée des Affaires sociales musulmanes dans le gouvernement de M. Michel Debré entre 1959 et 1962 - mais une balle tirée par son garde du corps avait tué un passant -, et le ministre de la Défense Charles Hernu, dont le policier chargé de la protection avait, en 1984, tiré avec son 357 Magnum dans la cuisse d'un homme qui fonçait sur le ministre au volant de sa voiture.
Mesures discrètes, efficaces, inédites
Aujourd'hui, plus de mille Français et Françaises se sont rendus en Syrie ou projettent de le faire. À ces suspects en puissance s'ajoutent tous les velléitaires qui ont tenté sans succès de le faire. Et persisteront à faire profil bas... Sauf à placer dix ou vingt policiers et gendarmes autour de chacun d'entre eux, et encore ! Il est matériellement impossible de surveiller tant de personnes. Comment faire ? D'abord, tenir compte de la réalité de cette menace invisible.
Pour ne parler que d'elles, les armées ont pris toute la mesure de ce problème. Sans entrer dans les détails, elles ont transmis de strictes consignes de sécurité à toutes les unités stationnées en métropole et outre-mer. Ces mesures de protection discrètes mais efficaces sont inédites par leur ampleur en ne visant pas seulement la présence des militaires quand ils sont amenés à se déplacer en uniforme. Elles concernent aussi la présence des soldats-citoyens-internautes sur les réseaux sociaux. Ils ont été invités à retirer toute allusion à leur activité professionnelle. Mais, pour le reste, les armées françaises seraient bien en peine de cacher qu'elles sont engagées depuis des années dans la lutte contre le terrorisme.
Nouveaux défis de la guerre des lâches
"La guerre est déjà sur notre sol", soulignait la semaine dernière un officier. Il poursuit : "Nous sommes engagés à l'extérieur de nos frontières, mais nous participons aussi à Vigipirate dans l'Hexagone." De fait, les armées françaises sont placées en première ligne. Depuis 2001 et les attentats du 11 Septembre, des dizaines de milliers de soldats français ont combattu d'abord en Afghanistan, puis aujourd'hui sur le sol africain. Les raisons de cette posture sont bien connues : les dirigeants français - tous partis de gouvernement confondus - considèrent que la meilleure manière d'éviter une propagation du terrorisme sur le sol national consiste à aller combattre ses inspirateurs et sponsors là où ils se trouvent : à Kaboul hier, dans la bande sahélo-sahélienne et en Irak aujourd'hui.
Cette attitude n'est pas contestée par nos concitoyens et les armées engagent en permanence des milliers de soldats et leurs moyens les plus puissants pour ce combat. Les services de renseignements y participent très activement en première ligne. Mais on mesure bien que l'on ne lutte pas avec un porte-avions ou des chars de combat contre des terroristes français bien de chez nous, formés sur le tas, dirigés à distance et sachant parfaitement jouer l'adhésion aux principes républicains, avant de surgir du néant l'arme au poing. Face à cette surprise stratégique, face aux nouveaux défis de cette guerre des lâches, toutes les questions sont sur la table. Reste à trouver les réponses.
Jean GUISNEL
Avis de l’ASAF :
Comme il est dit dans l’article, la réponse à une crise profonde n’est jamais exclusivement militaire, mais reconnaissons que les moyens militaires, toujours indispensables et qu’ils ne se construisent pas du jour au lendemain.
L’officier qui affirmait que « l’ennemi est déjà sur notre sol » n’est autre que le chef d’état-major de l’armée de Terre et ancien chef de la direction de la protection et de la sécurité de la Défense (DPSD), c'est-à-dire quelqu’un qui a une connaissance approfondie des menaces qui pèsent sur le territoire national.
La France doit donc se préparer à affronter des menaces très diverses, celles connues d’aujourd’hui et celles encore inconnues de demain. Or les moyens des militaires sans cesse réduits sont maintenant insuffisants pour conduire efficacement nos opérations extérieures actuelles. Ils le seraient encore davantage, si nos armées devaient être engagées demain en soutien d’opérations d’envergure sur le territoire national: contrôle de zones urbaines ou rurales sensibles, … compte tenu de la faiblesse des effectifs et de l’insuffisance de certains moyens (hélicoptères par exemple).
Ces capacités militaires devraient d’ailleurs continuer à diminuer dans les années à venir à moins que les récents évènements fassent prendre conscience aux dirigeants politiques de la nécessité d’arrêter l’hémorragie des finances et des effectifs consacrés à la Défense et engager une véritable remontée en puissance de nos forces.
Source : Le Point